Attaque de Paris: la grande inquiétude du renseignement sur cette «djihadosphère» qui mue et prospère
Par Jean Chichizola et Christophe Cornevin
DÉCRYPTAGE - Bombe à retardement des «revenants» de Syrie, sortants de prison, cyber-endoctrinés… Tous les voyants sont au rouge écarlate.
D’Arras à Paris, les récents attentats rappellent l’ampleur d’une menace terroriste islamiste en évolution constante. En dépit des revers de l’État islamique en Syrie et en Irak, qui a tari les départs depuis la France, l’idéologie djihadiste est plus que jamais présente. Elle est diffusée parune propagande plus rudimentaire mais efficace et par une «djihadosphère» très active. Dans ce contexte, quatre voyants sont au rouge écarlate.
La redynamisation de la menace «endogène»
Elle regroupe des islamistes vivant en France et passant à l’acte de manière autonome. On y retrouve pêle-mêle des individus souffrant de troubles psychiatriques, des profils rigoristes basculant dans la violence ou des jeunes et très jeunes (13 à 14 ans) adhérant aux thèses de Daech. Ces terroristes sont motivés par l’actualité (conflit israélo-palestinien), la propagande (les anciennes vidéos de Daech étant toujours très vues sur la toile) et aussi par une nouvelle dynamique des filiales de l’État islamique qui marquent des points en Afrique ou en Afghanistan.
Le développement de connexions transnationales
Les réseaux sociaux permettent de plus en plus à des terroristes, souvent jeunes et plus ou moins isolés, de se jouer des frontières européennes. Ils nouent des liens entre eux, s’incitent les uns les autres à passer à l’acte ou préparent des projets en commun. Les services de renseignements ont particulièrement noté cette tendance au sein de jeunes membres de la communauté nord-caucasienne et plus largement russophone en Europe. C’était ainsi le cas d’un rassemblement virtuel via Telegram de jeunes Tchétchènes récemment démantelé avec une interpellation en Ukraine et d’autres en Europe occidentale, notamment en Belgique et aux Pays-Bas, en mai-juin 2023. Des contacts entre adolescents ou jeunes adultes de toutes origines, vivant en France et en Belgique, ont ainsi été repérés dans plusieurs enquêtes portant par exemple sur un possible projet d’attaque de l’ambassade d’Israël dans la banlieue de Bruxelles ou sur des velléités d’attaques de policiers de part et d’autre de la frontière.
La bombe à retardement des «revenants» et des prisons
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Environ 1500 adultes ont quitté la France pour rejoindre des groupes terroristes en Syrie et en Irak à partir du milieu des années 2010. Une centaine sont détenus dans des camps et des prisons kurdes. Un peu moins de 500 sont décédés ou présumés décédés (avec deux sources de renseignement autonomes confirmant les décès) et un peu moins de 250 portés disparus (la majorité étant probablement morts). Enfin, 387 djihadistes sont revenus en France, un peu plus de 150 sont libres dans le nord de la Syrie et plusieurs dizaines relocalisés dans des pays tiers, dont des binationaux s’étant réinstallés au Maghreb.
Quelques-uns de ces individus ont d’ores et déjà des projets mortifères. Et la menace terroriste est également au cœur des prisons françaises. Elles accueillent aujourd’hui 391 détenus TIS («terroristes islamistes») et 462 DCSR («détenus de droit commun susceptibles de radicalisation»). Or le problème ne se limite pas à ceux qui sortent de prison. Il s’étend à ces détenus, une grosse cinquantaine, qui, forts de leur passé terroriste et condamnés à de longues peines, jouent les mentors et les recruteurs et constituent une menace permanente. Le tout dans un contexte où le Service national du renseignement pénitentiaire constate une hausse des actes de défiance envers les personnels depuis l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre, et l’attentat d’Arras, le 13 du même mois.
Le retour de la menace extérieure
Depuis plus d’un an, on constate, en France et en Europe, que les groupes islamistes cherchent à activer à distance des terroristes qui sont installés dans les pays cibles (comme des velléitaires qui n’ont pu rejoindre les zones de djihad) ou sont arrivés plus ou moins récemment. Deux affaires récentes ont mis en évidence des liens entre l’État islamique au Khorassan (EIK, Afghanistan) et des individus originaires du Caucase ou de l’ex-Asie centrale soviétique. En novembre 2022, un Tadjik et un Tchétchène, en lien avec l’EIK, étaient ainsi interpellés par la DGSI à Strasbourg. En juillet dernier, des Tadjiks et des Ouzbeks, en contact avec ce même groupe terroriste, étaient au cœur d’un coup de filet en Belgique, en Allemagne et aux Pays-Bas. Mais l’activation peut venir d’ailleurs. En Suède, plusieurs individus étaient ainsi «téléguidés» par l’État islamique depuis la Syrie. La menace peut également venir des «relocalisés» au Maghreb ou en Turquie, que les services de renseignements suivent avec attention, car certains reprennent contact avec des individus vivant en France.